Une " camarade de théâtre " commence ainsi son intervention (j'adore) : assise parmi le public, elle gigote, chuchote, distrait ses voisins en bougonnant puis, décidée, monte un pied, puis l'autre, sur sa chaise, se lève et crie à la cantonade : "je - m'en- nuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie" !
Je trouve cela non seulement drôle - d'autant plus pour ouvrir un des dialogues des Conversations conjugales de D. Sallenave - mais en plus bouillonnant d'intérêt. Ce cri résonne en moi, depuis deux semaines que je l'ai entendu pour la première fois, l'ennui étant un thème qui me turlupine en ce moment.
Depuis plus longtemps que je ne voudrais l'avouer, même ?
A moins qu'il ne me turlupine, pas plus, pas moins, que tout un chacun puisque chacun connaîtrait, aurait connu, et connaîtra ce sentiment terrible.
L'ennui.
"Je - m'en - nuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie !"
Chacun a connu, ai-je envie de préciser, car en général, ce sont les enfants qui s'ennuient.
- Ou peut-être les enfants qui disent qu'ils s'ennuient. Comme s'ils étaient seuls assez courageux pour le faire. Ou seuls assez lucides pour s'en rendre compte.
Ce cri poussé par Océane perchée sur sa chaise a un écho : c'est l'écho de l'enfance.
C'est ainsi que j'ai rebondi sur une coïncidence. Dans le cadre de mon travail, je suis tombée sur des textes sur et de Pierre Pachet. Sur ce bout de phrase en particulier : " dans l'ennui, il y a de l'excitation, il y a de l'intérêt, il y a de l'érotisme, il y a de la pensée." Plus loin, il dit : "Dans le mal il y a les fleurs", et pour le romancier - penseur - critique - traducteur, cet ennui est à soigner, non pas à fuir, mais à accepter. L'ennui est ce qui va permettre à qui le peut ou qui le veut, d'ouvrir la porte de son intériorité. La pensée, l'intime, la création, ne pourraient naître sans ennui. L'intériorité - la vie intérieure - c'est l'ennui.
Merci Monsieur Pachet. Je m'ennuie souvent en ce moment. C'est comme un vide mais maintenant que je vous lis je sais que c'est une quête. C'est un travail. C'est de là que sont nées plusieurs choses dans ma petite tête de linotte. C'est à partir de l'ennui comme point de départ que j'ai pris les quelques rares bonnes ou mauvaises décisions dans ma petite vie de nomade qui se cherche. C'est à travers et dans l'ennui profond qui flotte comme une brume épaisse sur le souvenir de mon enfance que j'ai lu tel ou tel livre que je me suis empressée d'oublier, que j'ai écrit tel ou tel passage d'un journal que je me suis dépêchée de renier, ou appris quelques mots, d'une langue ou d'une autre, que j'ai appris à les aimer, c'est grâce à cet ennui qui me poursuit et colle à ma peau, envahit mes agendas papier ou électronique que je ne suis peut-être pas complètement une machine à consommer ou à déblatérer, tapoter ou blablater, une crêpe, une larve, un baba.
Juste un peu...