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1 juin 2010 2 01 /06 /juin /2010 13:46

Les photographies anciennes ont un grain, un format, une odeur particuliers. Un poids, surtout. Elles sont lourdes de choses portées, elles charrient une masse bizarre de souvenirs, je dis bizarre, car seules elles en sont capables : ramener, de la sorte, un mélange de rêverie, de faits, plus ou moins nets, plus ou moins teintés, de sentiments - différents degrés de réalité, une réalité brumeuse, mouvante, qu'on récupère, pan, dans la gueule, ou plus lentement, sur le mode de l'effort.

Sur ces photographies, les éléments n'ont pas tous la même puissance :

Certains ne révèlent rien - un décor où l'on n'est passé qu'une fois, par exemple.

D'autres sont les visages : le nôtre, celui de nos proches, parfois disparus. Mais en même temps que ces éléments-là sont révélés, il sont figés - à jamais : le souvenir de l'image telle qu'elle est sur la photo prend la place des multiples souvenirs que l'on peut avoir de ces portraits - c'est pourquoi je n'aime pas m'attarder sur les visages des disparus - non que cela soit trop dur - mais bien par souci de conserver des traces mouvantes et substituables les unes aux autres, des traces "vivantes" et libres.

Un troisième élément est, à mon sens, le plus troublant : les objets. En général ils demeurent à l'arrière-plan, ils n'ont été fixés que par accident. Ils ne sont que... des objets, ces incontournables du quotidien. Mais justement : quand mes yeux tombent sur ce sucrier que nous avions à la maison, sur "l'armoire espagnole", ou sur l'appareil de téléphone qui a vécu bien plus longtemps que moi-même, alors c'est, impérieux, le quotidien qui remonte à la surface, qui s'impose par le truchement de ces visions secondaires, de ces "éléments du décor".

La même impression de surgissement du passé, vivant et odorant, peut naître dans les allées d'une brocante : ce vieux fer à repasser a trôné des années - toute ma vie, serais-je tentée de dire - sur le petit vaisselier de "ma maison". Je sais même qu'il nous venait de ma mère, de sa propre enfance. Superposition de temps, d'époques, et irruption dans "ma vie de tous les jours, d'aujourd'hui", de "ma vie de tous les jours, avant". De la vie d'une autre, en quelque sorte, mais que je connais bien.

En outre, les objets avaient, il n'y a pas si longtemps, une importance qu'ils n'ont plus. Quand on avait un sucrier, on l'avait 'pour la vie". Alors qu'on se permet maintenant d'en changer, on se lasse, on casse ou on jette, on casse pour mieux jeter (je connais ça, je le pratique volontiers). Je m'en souviens si bien, de ce sucrier. Il n'avait rien de beau, il était usé déjà, orange en plastique, avec de gros motifs verts. Des fleurs, peut-être - dans une vie encore antérieure. C'était le sucrier. C'est le sucrier. Il faudra que j'enquête : mes soeurs, elles, s'en souviennent-elles, de ce sucrier ? Qu'évoque-t-il en elles ?

Peut-être que je suis trop sensible - au passé - trop lestée de ce poids - comme cette pomme, que nous avions, à la maison, gros fruit rouge de la taille d'une tête avec une queue en plastique verte, qui se balançait en faisant une musique de clochette grave, dont le cul était alourdi et qui, du coup, finissait toujours sur sa base. Je suis cette grosse pomme qui tiens toujours sur le passé.

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26 mai 2010 3 26 /05 /mai /2010 21:50

Vendredi ! mois de mai, les billets de train sont pris, le programme est fait, en pointillés, parce qu'il ne faut pas se stresser, non ! mais ce sera sûrement : L'Herbe, Audenge ou Montalivet, là où il y a des huîtres, là où il y a du sable, et puis de l'eau de mer, et puis du vin blanc... honorons les rituels, faisons tourister les parisiennes, emmenons-nous avec elles, à la plage, qu'on y f'ra des photos, pour sûr, qu'on y f'ra courir la chienne, qu'il fasse plus ou moins beau - il ne peut que faire beau! - qu'on s'tapera la discute au petit déjeuner, en terrasse, au mobilhome, un petit déjeuner qui s'étirera comme nous, mi-chats mi-lézards, rigolards et bavards, jusqu'à midi ou treize heures... le soir - honorons les rituels, exotisons les parisiennes : dégustation de bordeaux rouge, Médoc ? ou Pessac-Léognan ? en tout cas, accompagné de jambon salé, séché et assaisonné maison, au cognac et multiples herbes dont le père Ch. ne nous dira jamais les secrets.



ps : voici un lien à destination des alsaciens (et des parisiens, et des autres !) qui liront ces lignes : àquandvotretour?

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25 mai 2010 2 25 /05 /mai /2010 13:38

Ceci pour fêter - et expliquer - la création d'une nouvelle catégorie sur ce blog : "les défis des Croqueurs de mots".
Je viens de m'inscrire à cette communauté, sur le conseil de Brigitte, mon irréductible blogueuse préférée, attirée par ce petit côté "contrainte" dans le loisir. Oui, oui, je sens que ça va me plaire, d'avoir à suivre une direction pour certains textes : on reçoit une consigne - par exemple, placer tel ou tel mot ou expression dans un texte, ou bien écrire "au sujet de", un peu comme dans un atelier d'écriture... ou à l'école.

C'est aussi l'occasion d'échanger sur la blogosphère avec des personnes qui partagent ce goût du mot.

Premier texte en ligne, lundi prochain, à 8 heures ! I'm happy !

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12 mai 2010 3 12 /05 /mai /2010 23:01

 

 

nana2.jpg

 

 

Une discussion, au sujet des gens, comme tout le monde aime à en avoir. Qui mène à des comparaisons, des jugements, et puis ce critère : l'espace, à l'intérieur de soi.
Une sacrée différence entre les êtres. Il y a ceux qui tournent le dos à la vie, ceux qui s'enferment dans des cloisons qu'ils ont construites de leurs propres mains, ceux qui se font vieillir, à tout âge, s'interdisent à leur humanité.

Il y a aussi ceux qui laissent la place à leur désir, n'ont pas peur d'en avoir peur, ceux qui ont travaillé sur leurs barrières, qui ouvrent les fenêtres, font entrer l'air et s'y enivrent, écoutent leur murmure intérieur, lui ouvrent un chemin.
Certains - certaines - ont la grâce, l'espace, en eux. Ils ont ce don et ont raison de le faire vivre car il les fait vivre. C'est un don de vie, oui, c'est le mouvement, l'avenir, les possibles.

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12 mai 2010 3 12 /05 /mai /2010 14:24

J'ai une chienne qui ressemble à tout plein d'animaux. Ou de monstres. Serait-ce une chimère ?

On m'a dit : "on dirait un lamentin". J'ai regardé la photo de ces bêtes marines, et j'ai trouvé que c'était exact.
Quand elle court, c'est un lapin. Si l'herbe est trop haute pour ses petites pattes précieuses, elle bondit, car elle n'aime pas les chatouilles de cette végétation trop folle. On aperçoit alors un rond blanc - le dos de sa queue en tire-bouchon, cercle clair au milieu de son pelage fauve - qui fait d'autant plus penser à la petite queue en boule des lapins qu'elle ne court pas à l'horizontale, mais à la verticale. Boing, boing.

Elle ronfle et renifle comme un cochon - scronch, scrontch.

Elle ronronne comme un chat, se lèche partout, aussi, pareil. Dès qu'on la caresse, si elle est d'humeur paresseuse, alors elle s'étale et sa gorge fait "rrrrr, khkhkhkh, rrrrr".

Quand elle bâille, c'est un hippopotame qui apparaît. Ses larges babines pendantes s'étirent et laissent la place à une langue sombre dans une cavité profonde et terrible mais toujours sympathiquement molle.

Parfois elle fait des caprices, exprime son désir impatient de sortir courir le chat ou un lapin. Elle se met donc à couiner comme ces petits toutous d'appartement - ce qu'elle n'est pas, il suffit de l'entendre aboyer pour avoir l'impression qu'un gros chien de garde bien mâle s'est introduit dans la pièce.

Prise au vol pendant la course, ou pendant qu'elle se secoue, une photo de Cybèle révèle une gueule de monstre : les plis de la peau, qu'elle a surabondante, remontent, s'aplatissent, se mettent à l'horizontale, vers l'arrière, vers l'avant... de telle manière que toutes sortes de créatures du cinéma fantastique sont alors convoquées.

Enfin, elle adopte certains jours - rares, mais précieux - une pose improbable : couchée, droite et étirée à la fois, elle parvient à allonger son dos et son cou - et là, oui, c'est un sphinx.
Le sphinx et la chimère, scène mythique de La Tentation de Saint Antoine, ouvrage sur lequel, il y a maintenant plusieurs années, j'ai un jour fait un mémoire de DEA prémonitoire ? Le plus beau texte de Flaubert, assurément.
Bref, je m'éparpille... alors je reviens à mon mouton - ou mon sharpei transformiste :

 

 CybeleBlog

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 09:20

La créature dit :

puisque rien ne se perd ou que j'ai déjà beaucoup perdu - puisque rien ne se crée, d'ici-bas où je gise - alors je voudrais tout transformer - frotter le bois blanc et l'enduire d'huiles bleues - forger le fer; l'arrondir, le polir - fondre la glace et le verre - graver dans le plâtre des arabesques - assembler des carrés de céramique minuscules - lier le rouge le vert et l'or - déteindre les fleurs et les tremper au gré des jours - casser les plaques, d'aluminium, de terre sèche, de nougat, les exploser et les faire voler - souffler dans les briques comme le loup des trois petits cochons - monter un géant de mousse - une tête d'argile molle - une main de papier mâché - une chimère de sel - un sphinx de bulles - touiller l'asphalte qui coule - crêper les chevelures immenses - faire s'envoler les draps, le foin, les palmes vertes ou ocres - mélanger la farine, la boue, l'indigo, les cristaux de quartz - emmêler les guirlandes, le crin, les fils d'argent, les lianes et les lustres - tout retourner, mêler, dépecer, réassembler, dans un méli-mélo de matières, de couleurs, de folies petites et grandes, d'inspirations baclées, de tapage rageur, râleur, jouisseur - sur fond de barissements joyeux, furieux.

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21 avril 2010 3 21 /04 /avril /2010 11:32

Quand les beaux jours arrivent, ce sont des bouffées d'autres beaux jours qui me sautent à la gorge. Les beaux jours d'un autre pays où ils ont une odeur différente - où la terre est plus rouge et la langue plus rauque. De beaux jours aux couleurs des bougainvillers des mimosas sauvages des oliviers des lauriers roses du jasmin du chèvrefeuille - où les nuits dégoulinent de parfums entêtants, où les journées s'étirent, paresseuses, où la poussière vole, soeur du désert, où les mouettes rêvent des sardines qu'on avale, grillées, dès le matin, où les abeilles ivres de menthe sucrée meurent volontiers dans un verre de thé.

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20 avril 2010 2 20 /04 /avril /2010 10:26

Garorock à Marmande a inauguré la saison des festivals : c'est parti pour les musiques d'été.

Dans la campagne pompignacaise, le message est passé : tout le monde s'y est mis, et le soir, depuis quelques jours, c'est concert sur concert. Les pintades punk qui ne manquent pas de coffre, les dix-huit petits chiens de chasse rock'n roll, la chouette et son timbre mélodieux, le choeur des moineaux, une nouvelle recrue : la grenouille-ténor, les coqs-chefs d'orchestre, sont en canon. Ici, on aime la musique, on a le rythme dans la peau, c'est une nature mélomane et on le fait savoir ! Réservez vos places !


PS :

Quelqu'un en saurait-il un peu plus sur la grenouille ? Qui est-elle ? D'où vient-elle ? Son monologue intrigue certains qui la soupçonnent, armée d'un mégaphone, de tenter d'initier la révolution des batraciens de la Rive droite.

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19 avril 2010 1 19 /04 /avril /2010 09:33

J'aime les arbres morts, desséchés, autour desquels pousse un parasite feuillu. J'aime les volets qui s'écaillent, la peinture délavée, à moitié arrachée. J'aime les maisons dont il ne reste que la vieille pierre, tenant debout comme par nostalgie, à travers laquelle on voit le vide, les mauvaises herbes et des ombres d'une vie lointaine, le soleil en pointillés. J'aime les barques qui ne brillent plus, au corps mort, sur le sable, encombrées d'algues coagulées et salées. J'aime les visages ridés, les peaux usées par le soleil et les sourires qu'on devine aux ridules sur le bord des yeux, les yeux plissés, les mentons secs. J'aime les façades sales, poncées par les années, les peintures désassemblées, patchworks de cache-misère, de rafistolages alternés. J'aime aussi les villages chargés de temps, de temps anciens et de ce temps épais qui ne passe pas, où une vieille fontaine égrène des heures fantaisistes dans un sillon de rouille. La poussière n'y a plus d'âge, la fonte, le fer-blanc, le cuivre cimentent le souvenir, le linge sèche, comme oublié, aux fenêtres, même les chatons paraissent centenaires. Ce qui n'est pas jetable - ce qu'on n'efface pas - ce qui tient debout, malgré tout, qui demeure et résiste, témoigne à qui veut l'entendre, par son bavardage inaudible, de ce qu'il a couvert, transporté, ombragé, accueilli, souri, vu, entendu, surpris... Il faudrait apprendre la langue des vieilles pierres et de ces bateaux orphelins.



 

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2 avril 2010 5 02 /04 /avril /2010 17:22

- Tout va bien ici ?

Il acquiesça, les yeux à moitié fermés. Mais il ne dormait pas, loin de là. Il attendait que l'infirmière passe. Elle était passée. Il se leva. Tira la chaise de l'autre côté du lit, contre l'armoire de formica blanc. Y posa un pied, se souleva en s'appuyant d'une main sur le dossier, se retrouva debout, les bras en l'air au-dessus du meuble. Encore un effort, voilà, il avait attrapé la boîte en plastique jaune. Ses yeux brillaient de malice, d'appétit. Il défit tour à tour les deux fermoirs retenant la boîte hermétiquement fermée, souleva le couvercle, écarta la feuille de papier aluminium, et dans un geste tout plein de précautions en sortit un. Il referma la boîte, la replaça en hauteur, cachée des regards, déposa son trésor dans une petite assiette sur la table de nuit, remit la chaise du côté de la fenêtre, et s'assit sur son lit, jambes étendues.

Alors, il se saisit de l'assiette. Il n'y goûta pas tout de suite. Il regarda d'abord son mkharka. Un gâteau brun sombre, labyrinthe de branches brillantes, pâte et miel, parsemé de graines de sésame. A chaque fois qu'il en avait un sous les yeux, il se demandait comment il était possible que ce délice de douceur contienne du vinaigre. Cela faisait partie des énigmes du monde. Enigme qui ne le préoccupait jamais longtemps, du reste.

Il approcha la pâtisserie de son nez, huma et sourit. Il retrouvait la rue grouillante de la médina, avec ses cris, les mendiants qui récitaient le Coran, les marchands qui clamaient le petit prix de leurs articles étalés à même le sol, ou sur des boîtes en cartons, les gosses qui couraient, lui-même, gamin, avec ses copains, le jour où ils s'étaient amusés, devant la mosquée, à jeter une vieille infirme en fauteuil roulant contre une autre vieille infirme aveugle assise sur une marche, la raclée qu'il s'était prise, après, quand sa mère avait raconté l'épisode à son père, et puis quelques années plus tard, dans cette même rue, devant cette même mosquée, quand il emmenait sa femme faire quelques courses, la menthe fraîche, le savon noir, les dattes si savoureuses chez Ba Ali, dans cette rue où pendant des siècle le même pâtissier ne fabriquait que des mkharkas, ne vendait que des mkharkas, il valait mieux les commander d'ailleurs, parce que le stock ne résistait jamais à la queue de gourmands défilant devant l'échoppe miniature.

Il jeta un oeil par la fenêtre. Le ciel gris recouvrait le gris des bâtiments de banlieue. L'enseigne de néon vert au nom alsacien imprononçable s'était déjà illuminée, il était à peine cinq heures. Concentré, il saisit son gâteau, mordit dedans. Bénit à nouveau sa nièce pour cette boîte en plastique jaune qu'elle lui avait portée. Et crut entendre le canon des muezzins, faible une seconde, puis de plus en plus fort et désordonné à mesure que les minarets se joignaient les uns aux autres. Il n'avait jamais respecté la tradition de la fin de la journée de Ramadan, qui veut qu'on prie d'abord, puis qu'on rompe le jeûn avec une datte et du lait. Lui, il goûtait en premier aux mkharkas. Il en mangeait un rapidement, avant de boire la soupe, en alternant, soupe, lait, soupe, datte, soupe, mkharka encore...  C'étaient des moments précieux, festifs, sacrés, où on était toujours plus nombreux que d'habitude, où chaque mets était toujours plus savoureux que d'habitude, où l'on râlait contre les retardataires, avant de se taire pour se remplir le ventre, on parlera un peu plus tard. L'odeur de harira flottait dans la maison, dans la rue, dans l'ensemble du pays, c'était la communion de tous les estomacs, de tous les désirs, de toutes les mauvaises humeurs, de toutes les bouches sèches, la récompense tant attendue, noyée dans son souvenir d'une éternelle lueur jaune d'or, rouge, orangée, celle du soleil couchant.

Il se lécha les doigts longtemps, quand il eut fini.


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