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6 avril 2013 6 06 /04 /avril /2013 07:58

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Ce n'est pas parce qu'Emmanuel de Waresquiel m'est très cher que ce qui suit, suit.

Entre deux rives est une très agréable surprise. Son auteur, Emmanuel de Waresquiel, est jusqu'ici surtout connu dans le rayon "histoire" des librairies. On lui doit, parmi une grande production en tant qu'auteur et directeur de collection, une biographie de Talleyrand publiée chez Fayard qui s'est trouvé un public aussi nombreux qu'enthousiaste.
Et voilà que cet historien se pique de passer à la littérature.
Et il fait bien.

Car cet essai littéraire est un véritable bonheur pour ceux qui aiment les lettres et les hommes de lettres.

Il dresse le portrait de dix écrivains, sous l'angle de leur mort, du temps qui passe et dont ils ont pleine conscience qu'il les mène à leur fin. Mort voulue ou pas, toujours elle est attendue, et c'est elle qui, a posteriori, éclaire une vie, une oeuvre, une sensibilité. On apprend beaucoup dans ce livre, sur Paul Léautaud, Stefan Zweig, Julien Gracq, Nerval, Brasillach... pour ne citer que les plus connus, et ces dix hommes - ceux qu'on chérissait déjà, ceux qu'on n'aimait pas spécialement, et ceux qu'on ne connaissait pas du tout - on les aime, sous la plume d'E. de Waresquiel, dans cette dimension intime qui est ici mise au jour. Sans compter que le style n'est pas en reste, loin de là : au-delà d'un travail de recherche où l'on reconnaît tout de même le professionnalisme de l'historien, un véritable style porte ces courts chapitres où seul l'essentiel est dit, dans un certain petit désordre, et charrie toute l'émotion. 


Entre deux rives, Ed. L'Iconoclaste, 2012. 342 pages.



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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 20:28

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L’Art français de la guerre relève avec brio un pari ambitieux : raconter la France du XXe siècle, du point de vue de ses guerres. Et, partant, expliquer la France d’aujourd’hui. Telle que l’ont façonnée ces années de guerre.

 

Mais commençons par le commencement. Le narrateur vit à Lyon. Après un épisode quasi délirant où il laisse libre cours à des pulsions de vie, de mort, de sang, de viande, lors d’un repas entre amis organisé avec sa compagne, il quitte cette dernière et leur appartement. Il déménage loin et se retire du commerce des hommes, passant de petit boulot en petit boulot, d’une vague relation amoureuse à une autre.

Et un jour il rencontre Victorien Salagnon. Qu’on lui présente comme « ayant fait l’Indochine ». Et dont il découvre des talents de peinture saisissants.

Le narrateur, qui a toujours voulu s’exprimer à travers le pinceau, demande à Salagnon de lui apprendre son art. Un marché est conclu : le vieil homme lui enseignera, en échange de quoi le jeune écrira le roman de la vie de celui qui a traversé le siècle.

 

C’est là que le livre prend son épaisseur. Le parcours de Victorien Salagnon, né à Lyon au début du siècle, qui découvrira la guerre au sortir de l’adolescence, dans le maquis. Il y apprendra la patience, le danger, la mort. Il gravira peu à peu les échelons de l’armée et rencontrera d’autres combattants, français, algériens, pieds-noirs, qu’il n’oubliera jamais. Dans ses moments d’inaction il dessine. Et sous une tente de la Croix-Rouge, tombera amoureux d’Eurydice Kaloyannis.

Après la Libération, il ne voit d’autre possibilité que de se faire volontairement envoyer en Indochine. Pas question pour lui de devenir épicier ou un quelconque autre métier civil.

Là c’est le charnier, l’embourbement dans un pays au climat qu’il supporte à peine, boueux, vaseux, où l’ennemi est partout et impossible à identifier, où la forêt tropicale est la plus forte, où les compagnons d’armes meurent les uns après les autres, parfois dans des souffrances inouïes, toujours dans un bain de sang et d’organes.
Sa force, il la trouve dans la chance – il est blessé mais survit à toutes les embuscades – et dans le dessin. Ainsi que dans les lettres adressées à Eurydice. Il prend du grade.

Après la défaite, il ne comprend plus la guerre, mais ne peut vivre autrement. Alors il part à Alger. Un climat encore plus insupportable – une chaleur sèche, étouffante. Et une guerre encore plus indicible – une guerre sale, une guerre honteuse, celle de la torture systématique, celle de la terreur exercée par le gouvernement colonial et l’armée sur un peuple exsangue.

Mais il est soldat, et il fait son devoir. Et il retrouve Eurydice, qu’il devra cette fois tenter d’arracher à son mari.

 

Nous revoilà dans la banlieue de Lyon, à l’aube du XXIe siècle. Victorien Salagnon y vit dans un pavillon quelconque avec sa femme Eurydice. Et le narrateur vient régulièrement apprendre l’art de l’encre de chine, et l’histoire de son pays, la guerre qui fait toujours rage mais dans le silence, à travers une police militarisée et ses opérations coup-de-poing dans les cités, ou ses contrôles d’identité dans les rues des centres-villes. Où il y a toujours la France, et « eux », les autres, dans une distinction basée sur la « ressemblance ».

 

L’Art français de la guerre est le premier roman d’Alexis Jenni. Un premier roman qui décrochera pas moins que le Goncourt à sa parution chez Gallimard en 2011. On ne peut qu’approuver la distinction, car il s’agit là d’une somme, à la fois roman historique, roman de guerre, analyse socio-historique, et chef d’œuvre littéraire. Le tout mené d’une écriture ciselée, fine, où (s’il fallait un bémol) les effets de répétition peuvent parfois être un poil lassants, mais où les chapitres s’enchaînent, magistrale leçon d’écriture, pour le plus grand délice du lecteur avide d’avancer dans ce siècle de guerres, dans ces quelque 800 pages.

 

Alexis Jenni, L'Art français de la guerre. Folio / février 2013. Edition originale Gallimard, août 2011)

9,60 euros - 784 pages

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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 13:25

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Ce roman de Virginie Ollagnier, paru tout récemment dans l’excellente collection de semi-poches Piccolo (aux Editions Liana Levi), séduit d’abord par sa couverture : un détail de mur ou de sol en carreaux de ciments colorés.

Comme l’annonce ce visuel, le livre raconte un voyage au Maroc, celui de Rosa, qui retourne à Sejâa, la propriété familiale où elle est née et où elle a grandi, dans la région de Meknès, au milieu des orangers.

 

Egon, son deuxième père, vient de mourir. Sa mère étant déjà décédée, après son père biologique, Rosa se retrouve seule et propriétaire de la maison de son enfance.

En fouillant dans le bureau d’Egon, Rosa fait de surprenantes découvertes. D’abord scandalisée, elle cherche à comprendre, lit des lettres, recueille le témoignages de proches : Monde, la cousine de sa mère ; Suzanne, l’amante d’Egon ; Sherifa, sa nounou, qui fut presque une sœur pour sa mère, qui est presque une mère pour elle. Et elle avance dans la compréhension des disparus.

 

Divers récits s’entrecroisent alors, dans une danse des générations. Où « l’Allemand » Egon prend la parole – lui qui a fui l’Allemagne persécutant les Juifs. Y laissant sa mère, son père, sa sœur et son frère, ce qu’il se reprochera jusqu’au bout, ayant trouvé refuge à Sejâa.

Où l’on apprend que la mère de Suzanne – la mère de Rosa – abandonna sa fille.

Où l’on apprend que celle-ci portera toute sa vie le poids de la faute de sa mère. Jusque dans le deuil de son époux Gabriel, parti très tôt.

Où la sensualité apparaît, dans cette filiation féminine, comme un choix destructeur, comme une faute qu’il faudra payer d’une génération sur l’autre. 

 

Par un effet de miroir, à travers la vie de sa mère, de sa grand-mère, de son beau-père, c’est sa propre existence qui se donne à voir et qu’elle questionne.

Les choix qu’elle a faits, auxquels elle s’est toujours tenue dans une irréprochable moralité, dans un ordre sans faille, se vident de leur sens.

Elle qui parmi ses deux amoureux de jeunesse, a choisi Antoine – a choisi de quitter le Maroc pour Saint-Germain-en-Laye, où elle sera la femme modèle, la mère parfaite, tenant son foyer et sa famille en ne faillant jamais à la maxime « chaque place a sa chose, chaque chose à sa place ».

 

Elle a fait le choix de l’ordre, de l’apparence, du froid et de la rigueur, au détriment de la sensualité, de la chaleur, de la liberté et du parfum des orangers.

 

Et à présent, que faire ? Ce court séjour, vécu telle une sorte de psychanalyse généalogique en accéléré, s’offre à présent comme un tournant dans la vie de Rosa. Il va falloir prendre des décisions.

Petite citation : « A Saint-Germain en Laye, elle était l’exotique, celle qui comprenait ce que disaient les immigrés dans les transports en commun, qui aimait la cuisine épicée. A Meknès, elle était la propriétaire de Sejâa qui avait quitté sa terre pour vivre à Paris, qui parlait une langue pointue parce qu’elle avait honte de son accent pied-noir. Rosa ne supportait plus cette partition. Elle avait endossé le fardeau de l’héritage colonial et elle refusait de le transmettre à ses enfants. »

 

Virginie Ollagnier signe ici son troisième ouvrage. Un beau roman, à l’écriture simple, sans prétention mais où les sentiments sonnent juste, sur la transmission et sur l’attachement aux temps et aux lieux de l’enfance. Sur la responsabilité, le désir et la liberté.

 

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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 18:30

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Ce court roman met en scène une femme, Edith, la narratrice, au milieu d’un Paris enneigé. Une journée d’hiver, elle décide de prendre un congé, et d’aller à la rencontre d’un inconnu, « L’Italien », dans un café.
Un bistrot où elle le croise tous les matins, avant d’aller au travail. Comme elle, il boit un café au comptoir, et elle l’entend échanger dans sa langue avec le serveur. Elle comprend qu’il vient de Ferrare, et cela la trouble.

Mais ce jour-là, il ne vient pas. Et la voici, après son rendez-vous raté, errant dans la ville. Au jardin des Plantes. Dans les rues. Les métros. Dans le froid et la solitude.

Et à défaut d’avoir pu évoquer Ferrare avec l’homme, elle superpose, à cette ville enneigée autour d’elle, des souvenirs. Les temps se croisent, des associations libres font resurgir plusieurs époques de sa vie par bribes, par images, par sensations.

 

Une rupture amoureuse l’a conduite à d’infinies déambulations dans la ville italienne. Où elle apprend la solitude et la liberté que celle-ci peut porter en elle. Plus jeune, avec son amoureux Antoine, militant d’extrême gauche, et un couple d’amis, elle se retrouve dans une vieille deux-chevaux qui rend l’âme au milieu de la campagne de l’Aubrac. Une auberge aux draps douillets leur sert de refuge jusqu’à la fin de la tempête de neige.

Puis la disparition d’Antoine, quelque temps plus tard. Ils sont alors étudiants à Paris. On n’en aura plus de nouvelles.

Un train de Milan à Ferrare.

Les itinéraires urbains s’entremêlent avec les écrits de Bassani, avec les films d’Antonioni.

Ferrare encore, et Ferrare toujours, sa bibliothèque, ses remparts, ses musées, le bus qui emmène, à travers la plaine brumeuse du delta du Pô, à la ville de Comacchio.

 

Quand des notes de piano surgissent d’un appartement, elle reconnaît la sonatine de Moderato Cantabile. La voici dans les mots de Marguerite Duras, portés par la voix de Jeanne Moreau.

 

Ces quelques lignes au détour d’un chapitre proposent un joli résumé du roman : « Je réinvente ma vie dans le désordre en mélangeant les temps, les lieux, les êtres chers, mais c’est tout de même ma vraie vie. Peut-être que cette journée est un cadeau plutôt qu’un rendez-vous manqué. »

Ainsi la nostalgie, les douleurs anciennes, se transforment en une mélancolie douce et presque joyeuse. En le goût d’une liberté à nouveau retrouvée.

 


Un lac immense et blanc, Michèle Lesbre. En Folio depuis le 31 janvier 2013. Parution initiale : Sabine Wespieser, avril 2011. 96 pages.

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4 février 2013 1 04 /02 /février /2013 18:18

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De l’autre côté de l’eau est paru en 2009 chez Tallandier. Il est réédité, en 2012, dans la collection poche de l’éditeur : Texto.

 

L’auteur, Dominique de La Motte, de février 1951 à juin 1952, est un lieutenant de l’armée française âgé de 26 ans, qui prend le commandement d’une unité de 130 soldats supplétifs  basée à un « poste » situé au nord-ouest de Saigon. Le but : maintenir la frontière avec le Vietminh, conserver une « zone interdite » à l’ennemi situé « de l’autre côté de l’eau », un affluent de la rivière de Saigon, et protéger la plantation accueillant le commando.

 

Très rapidement, Dominique de la Motte comprend qu’il s’agit d’opérations tout à fait distinctes de la grande guerre qui se déroule en Indochine. C’est « sa guerre », où l’humain prend le pas sur le militaire mais d’où la stratégie est loin d’être absente. Car il faut apprendre, sur le tas, à gagner la confiance de ces 130 hommes dont il ne comprend pas la langue (et de leurs femmes, qui ont aussi le pouvoir) susceptibles à tout moment de partir, de trahir, de l’abandonner au milieu d’un combat…

« La guerre que je mène est différente. Je cours après de rares accrochages, mais le quotidien n’est que trahisons, coups fourrés, savants compromis et âpre recherche de renseignements. Je sais d’expérience que mes hommes ne sont ni meilleurs ni pires que ceux « de l’autre côté de l’eau ». Ils sont les mêmes, guidés par des instincts que tempère seule la volonté de leurs chefs. Et leur comportement est « tour à tour humble ou sauvage ».

 

Il doit d’abord les former – car ce sont tous des « nha-qués », des paysans. La plupart ont une vingtaine d’années. Le lieutenant les décrit comme étant tous  « pour la plupart incultes, pauvres, au point de venir chez moi pour ne pas mourir de faim, mais intelligents, fins et gais ».

Dès les premiers temps, il comprend que face à ces jeunes paysans qui n’ont plus ni Dieu, ni patrie, ni famille, il se doit – et de cela dépend son autorité – d’être un peu tout cela. D’être « roi ».  Un roi qui connaît le nom de chacun de ses sujets.

 

Il apprend, non la langue, car ses tentatives dans ce sens ne provoquent que l’hilarité générale… mais les subtilités comportementales, la psychologie de ces Jaunes qui ne sont pas un groupe mais se divisent – un mélange détonnant – en Tonkinois, Annamites, Chinois, Khmers de Cochinchine, Khmers du Cambodge, les uns ex-Vietminh, les autres prisonniers… sans compter qu’il faut composer aussi avec les intérêts des Français de l’armée, de la plantation, du corps médical, et avec les Caodaïstes voisins qui sont toujours entre deux camps… Les règles ne sont pas écrites et le jeune lieutenant, apparemment doté d’une grande intelligence de l’humain, semble maîtriser assez rapidement la complexité de la situation.

 

Ce récit est écrit une quarantaine d’années après les faits. Ce n’est pas un journal de guerre mais bien « des réminiscences ». Le souvenir est intact, porté par l’émotion de ces deux années qui furent, d’après De la Motte, les plus fortes de sa vie de militaire. Il confie, dans les dernières pages : « jamais plus je n’ai connu l’enthousiasme, l’énergie et la solitude du chef avec la même intensité que pendant ces dix-huit mois ». Pourtant c’est une carrière bien remplie qu’il mènera après l’aventure indochinoise ; ce saint-cyrien commandera un escadron à pied dans le Constantinois entre 1959 et 1962. Puis il grimpera les échelons de l’armée, dirigera l’Ecole d’application de l’arme blindée-cavalerie de Saumur. Avant de passer dans la 2e section des officiers généraux. La seule chose qu’il peut comparer en intensité à cet épisode Cochinchinois, c’est l’amour qu’il aura pour la femme qu’il rencontre et avec qui il a de nombreux enfants.

 

Un récit qui se lit comme un roman – malgré, ou grâce, à cette organisation en chapitres thématiques eux-mêmes écrits comme des listes. Sans fausse modestie. Sans prétentions littéraires. Mais avec un vrai talent d’écrivain, qui nous plonge totalement dedans.

 

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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 18:08

petite-soeur-mon-amour.jpg

 

Le titre, qui pourrait laisser croire à une histoire un peu à l’eau de rose, dissimule en réalité un récit ardu, haché, dur et névrotique, le récit d’une descente en enfer. Celle d’un petit garçon que son père a dénommé Skyler, car il le destinait plutôt à une envolée vers les hautes sphères, vers les cieux.

La « petite sœur », c’est l’autre héroïne de ce livre. Bliss. Son prénom, elle l’a eu tardivement, un nom d’artiste que sa mère a voulu lui donner pour remplacer le trop classique et invendable « Edna Louise ». Bliss sonne – glisse – beaucoup mieux sur la glace, comme la petite patineuse de génie qui le porte, princesse blondinette, fine mais musclée par les séances d’entraînement, petite star glamour dès l’âge de 4 ans.

Mais elle n’aura jamais plus que 6 ans, car en pleine ascension vers la gloire, affublée déjà de titres prometteurs, voici que la petite Bliss se fait assassiner.


 Ce livre n’est pas un polar. Il n’y a pas d’enquête. A peine un jugement – encore moins de certitude, puisque des années durant le doute planera sur la vraie culpabilité du dit pédophile qui a avoué le meurtre avant de se pendre. D’autres sont soupçonnés, à voix basse, ou dans les grands titres de journaux à scandale. La mère de la petite ; son père ; son frère.

Son frère, donc. Le narrateur de ces 700 pages. Qui a neuf ans l’année du drame. 19 ans quand il rédige son témoignage. Pour essayer de mettre les choses à plat, d’y comprendre quoi que ce soit, d’exorciser ces années de cauchemar. Sa langue ressemble à ses névroses – les médecins le disent psychotique.

D’où une écriture sur le fil, nerveuse, hargneuse.


L’ensemble du récit est porté par une émotion assez forte ; on prend pitié des enfants, versus ces parents détestables mais en même temps si « banals », bourrés de ces défauts répandus dans une société américaine ici bien caricaturée. Ils sont écrasés, aveuglés par l’ambition et le désir d’avoir et de montrer toujours plus. Au point que Skyler et Bliss souffriront toute leur vie de n’être que des ombres. Lui, dès son plus jeune âge, se blesse, brisant à jamais les rêves de son père d’avoir un fils champion – de ces débuts manqués de carrière olympique, il ressortira boiteux et bègue.

Quant à Bliss, elle le dit elle-même du haut de sa petite taille ; « ce n’est pas moi », celle des journaux, télévisions, la Bliss maquillée, costumée, celle que poursuivent les projecteurs et les lettres d’admirateurs. Non, la petite fille a disparu derrière le rimmel et la poudre, et tous ces médicaments dont on la bourre, elle aussi, pour la pousser vers les sommets. Elle, au fond, a peur, a mal, et doit le cacher en permanence à tous.

 

Le petit frère, un peu jaloux, est aussi inquiet. Il est le seul à voir la fragilité de Bliss derrière la façade souriante et brillante. A percevoir un danger et partager son angoisse.

 Et puis la retrouve morte. Et son frère ne cessera de culpabiliser. D’abord parce qu’il n’a pas de souvenir de cette nuit fatale (à son réveil, aux questions de sa mère…. il aurait pu être celui qui lui a fait du mal), ensuite parce que de toute façon il n’a pas empêché que cela arrive.

 

Dès lors Skyler perd ses cheveux, bégaie comme jamais, sa douleur à la jambe ne le quitte plus, et il s’enferme dans une solitude qui l’exclura à jamais de tout cercle social ou amical.

Les années passent et il est constamment médicamenté, passe d’un centre spécialisé à un autre, d’un collège très privé à un autre, des cachets qu’on lui prescrit à ceux qu’il se procurera seul.

 

Je tairai les épisodes tardifs, qui le conduiront au moment où il décide de coucher par écrit la vie de la famille Rampike.... Mais je vous encourage fortement à aller y faire un tour par vous-même.

 

Joyce Carol Oates est américaine. Deux fois finaliste du Prix Nobel de Littérature, elle a publié plus de 70 ouvrages dont la plupart sont traduits en français.

 Petite sœur, mon amour est traduit par Claude Seban. Il est disponible en Points.

 

 

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17 janvier 2013 4 17 /01 /janvier /2013 18:00

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Entrer dans Kafka sur le rivage, c'est entrer dans la puissance de l'imaginaire, dans les méandres de l'inconscient, dans les délices de la fiction, c'est plonger avec un enthousiasme rare dans un univers aussi prenant que séduisant intellectuellement.

On ose parler d'un des plus grands romans du XXe siècle. Vous savez, de ces pavés légers, que vous dévorez en quelques traits - et puis quand vous arrivez dans la dernière centaine de pages, vous avez envie de faire traîner votre lecture, pour ne pas en finir. 

Le jeune narrateur vit à Tokyo, dans l'arrondissement de Nakano, seul avec son père car sa mère les a quittés quand il avait 4 ans, emmenant sa soeur avec elle. Le jour de ses quinze ans, il fugue. Le hasard (mais peut-on parler de hasard, dans ce roman où tout semble régi par des forces mystérieuses ?) le conduit sur une île, dans le Shikoku. Il n'emporte avec lui que quelques affaires, beaucoup de courage, et le poids de la "prédiction", sorte de fatalité oedipienne prononcée un jour par son père, et dont il tentera de s'affranchir, tout en sachant bien, du haut de ses quinze ans, que la distance ne peut résoudre tous les problèmes. 

Lecture, sport, emplissent ces journées de liberté, dans un rythme qu'il se plaît à maîtriser, dans une régularité où il semble trouver son équilibre.
Mais un jour, il perd connaissance, et se réveille dans un parc, ensanglanté. N'ayant aucune mémoire des quelques heures qui viennent de s'écouler, il comprend, en voyant qu'il n'est blessé nulle part, que ce sang ne peut être le sien - et que sans doute c'est un sang qu'il a fait couler.

Aurait-il commis un crime ?

... D'autant qu'il apprendra que son père s'est fait assassiner.

Toujours est-il qu'il doit encore plus à présent éviter les forces de l'ordre, ne pas se faire remarquer.

Il trouve refuge chez Sakura, une jeune fille rencontrée dans le car.

Une jeune fille qui a l'âge d'être cette soeur qu'il n'a connu que très jeune.

Et une jeune fille qui le fait dormir dans son lit, envers qui il éprouvera un désir bien naturel.

Il s'enfuit, donc, loin de la tentation de la chair avec celle qui pourrait être sa parente.  Et trouve refuge cette fois, pour un certain temps, dans une bibliothèque privée, particulièrement accueillante, où officient le jeune Oshima et la directrice, Mlle Saeki, belle femme cinquantenaire élégante et un peu mystérieuse.... Femme qui aurait l'âge d'être sa mère. Et vers qui il a l'impression que son destin l'a conduit, irrémédiablement. Il construira, en même temps qu'un amour profond envers cette femme, une hypothèse que rien ne vient contrer : cette femme serait sa mère.

Le rêve, l'étrange, le désir et le réel se mélangent. Voici le jeune Kafka (c'est le pseudonyme qu'il s'est choisi pour sa nouvelle vie de fugueur) potentiellement assassin de son père, amant de sa mère, violeur de sa soeur. Telles étaient précisément les trois volets de la prédiction prononcée par son père.

Jusqu'où faudra-t-il fuir encore pour échapper à ce destin ? Au fin fond d'une forêt ? A la lisière de la mort ? de la folie ?

En parallèle de ce récit, on découvre également au fil des chapitres l’histoire de Nakata. Nakata est un vieil home qui, après un accident étrange, a perdu la plupart de ses facultés intellectuelles. Il vit d'une pension pour handicapés, et de son don de parler avec les chats qui lui permet de retrouver les compagnons à quatre pattes quand ils se sont un peu trop éloignés de leur famille d'accueil. Nakata ne réfléchit pas, ne s’ennuie jamais, mais obéit à un instinct, des forces obscures, qui feront de lui le sujet de scènes plus extraordinaires les unes que les autres, et le conduiront dans un périple de Tokyo à Shikoku – sur les traces de Kafka, sans le savoir… jusqu’à cette mystérieuse et accueillante bibliothèque privée.

Non, rassurez-vous, nous n’avons pas tout dévoilé de ce roman incroyablement rythmé qui, aussi grave qu’ils puisse être dans certains passage, n’en flirte pas moins avec le loufoque, le fantastique, et réserve à son lecteur quantité de surprises. 

A vous de les découvrir, dans cette élégante version poche, de la collection 10 18 qui a fait peau neuve récemment. Vous nous expliquerez, tiens, pourquoi ce choix, en couverture, d’une tête de chat sous une pluie de petits poissons.

10/18, 638 pages, 9,60 euros.

Traduit du japonais par Corinne Atlan.

 

 

 

 

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10 juillet 2012 2 10 /07 /juillet /2012 22:24

 

... est le sous-titre d'un essai récemment paru aux Editions Armand Colin, écrit par le journaliste Jean-Pierre LLedo.

Un texte documenté, argumenté, construit... Le pessimisme se fait réalisme, sur l'horreur absolue, en marche, d'un islamisme totalitaire et violent, appelé à régner dans les pays arabes - tous ? - ? - et ailleurs sur l'ensemble de la planète - pendant quelques siècles.

C'est documenté et argumenté, vous dis-je, il n'y a qu'à lire cet ouvrage pour connaître la série d'éléments puisés dans l'histoire et le fait divers, jusqu'au plus contemporain, étayant la thèse de ce journaliste vidéaste franco-algérien aux origines juives algériennes françaises et espagnoles : les révolutions démocratiques dans les pays arabes, c'est un oxymore, une farce - et pour longtemps encore.

 

 

 

 

 

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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 19:55

L'année zéro, c'est celle juste après les bombes et la fin de la Deuxième Guerre.

On est à Tokyo, parmi les cendres, les maisons sans toits, les familles orphelines, les chiens sans maîtres.

La puanteur est accablante, comme la chaleur.

Et au milieu de la mort, c'est encore la mort : la police de la ville est chargée de découvrir qui sont ces cadavres de jeunes filles, qui les a violées et tuées.
L'inspecteur Minami a la tête basse, il est harcelé par la vermine, humilié par la capitulation, écrasé par la culpabilité, la honte de la corruption - mais il faut survivre avec la faim au ventre, les nerfs à vif...

Comment enquêter quand on n'a aucun moyen. Quand aucune autorité ne répond plus de rien. Quand les rues détruites sentent l'abricot pourri. Quand on ne peut fermer l'œil la nuit.

David Peace nous plonge dans ce roman noir comme dans une longue chanson lancinante, redondante, infernale. C'est très fort.

 

 

 

Peace

 

 

David Peace, Tokyo année zéro. Rivages, janvier 2008 puis en poche, septembre 2010. Traduit de l'anglais par Daniel Lemoine.

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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 09:14

Sylvie Testud - oui, l'actrice, est aussi une romancière confirmée, ce titre n'étant pas son premier.

Sibylle Mercier, la narratrice, exerce un poste à responsabilités dans la communication. Son quotidien parisien n'a rien de  romanesque : boulot, ménage de l'appartement, courses au supermarché, réunions du syndic de l'immeuble... mais il nous est donné à lire comme un roman d'aventures, en raison de l'extrême sensibilité de l'héroïne à toutes les choses qui l'entourent.

Autour d'elle, ses contraires : rien ne semble émouvoir son concubin et son amie, toujours d'humeur égale. Ce qui la plonge dans une solitude d'autant plus grande, à tenter de dépasser ses névroses, ses colères, ses petites angoisses.

Tout cela sonne très vrai ; le contemporain, le banal, sont ici drôles et pertinents, voire grinçants. Et surtout ce sont des pages vives, au rhythme pétillant, varié, et au style surprenant, qu'on a du mal à interrompre avant la dernière.

 

 

S.-Testud.jpeg

 

 

 

Sylvie Testud, Chevalier de l'ordre du mérite. Le Livre de poche, mars 2012. 232 pages. Edition originale : Fayard, mars 2011.

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