« Un concept unique en France », importé d’Allemagne, « qui ne désemplit pas », « la seule grande surface pour le couple », un magasin « dédié au plaisir et à la sensualité »… Après avoir lu et entendu autant de louanges et attirée par l’originalité du lieu, je me dis, il faut que j’aille voir ça.
C’est perdu dans une zone de bureaux près de l’aéroport, un de ces quartiers qui n’en sont pas, déserts de cubes en aluminium ou en verre, assemblés en une structure labyrinthique où des panneaux gris foncé orientent d’une société de bâtiment à une boîte d’intérim, dans cet urbanisme de la journée de travail – le soir et le week-end, inutile de chercher une âme à qui demander son chemin – représentatif de cette « France en train de devenir moche ».
Tiens, un de ces panonceaux est décoré d’un petit cœur rouge. De l’humain, de l’humour, par ici ? On suit la flèche, on tourne à droite, à gauche, à gauche, à droite, et là, on tombe sur un parallélépipède blanc, un truc sans nom qui ressemble à un grand container, ou une boîte à outils géante, ou un méga-Algéco : on y est, c’est à l’intérieur de cette chose qu’on va nous vendre de la sensualité.
On entre.
La sensation globale qui se dégage est celle d'un univers plastifié : dans sa dimension artificielle, lisse, sans nuances, alors même que l’œil est saturé de couleurs.
Les matières sont fausses – acrylique, nylon, synthétique au service de l’illusion du cuir, du crin, du satin ou de la fourrure. Les teintes sont convenues : du noir, du rouge, des clous, et bien sûr un peu de rose et de l’imprimé panthère. Les objets sont attendus : : des chaussures à talons hauts, des menottes, du lubrifiant et puis des bites sur plusieurs mètres de rayonnages – des bites en plastique rose fluo, des bites en plastique vert fluo, des bites en plastique bleu fluo, des bites en plastique jaune fluo. Les codes sont respectés – toutes sexualités représentées, tous les lieux communs du sex-shop sont là, et rien de nouveau sous les néons. Quant au rayon librairie, dont on espère qu’il sauve la mise, il est d’une pauvreté affligeante – la rentabilité n’est pas au rendez-vous, l’écrit ne doit pas être assez suggestif, assez efficace. Les DVD, eux, abondent, ils sont empilés sur plusieurs mètres de long et de haut, et les jaquettes semblent autant de déclinaisons des mêmes gros plans siliconés.
Par-dessus le supermarché, les prix sont explosifs, ce qui surprend quand on sent les tissus crisser sous les doigts et qu’on voit briller le simili-skaï – mais le marketing se paye, le concept a un prix.
Attention, je n’ai rien contre les pâtes en forme d’organes génitaux, contre les films porno ni contre l’usage des godemichés. C’est juste que, voilà, nulle poésie, nulle inventivité dans ce lieu loué jusque dans notre quotidien régional comme un temple du plaisir – et qui n’est rien d’autre qu’une grande surface qui marge à 3000 % sur du plastique sous une lumière crue. Il n’y manque que les caddies, d’ailleurs.
Cela m’a donné envie de relire le chapitre consacré au plastique dans Mythologies de Barthes : « Un objet luxueux tient toujours à la terre, rappelle toujours d’une façon précieuse son origine minérale ou animale, le thème naturel dont il n’est qu’une actualité. Le plastique est tout entier englouti dans son usage : à la limite, on inventera des objets pour le plaisir d’en user. La hiérarchie des substances est abolie, une seule les remplace toutes : le monde entier peut être plastifié, et la vie elle-même, puisque, paraît-il, on commence à fabriquer des aortes en plastique. » [quelqu’un saurait-il me dire si en 1957 les godes en silicone existaient déjà ?]