- Il faut absolument que tu apprennes à glisser.
- Oui, c'est vrai.
Connaissez-vous ces figurines à deux sous vendues souvent à la sauvette, bonshommes longitudinaux, aux couleurs fluorescentes, au corps élastique et un peu collant, qu'il faut jeter avec force contre un mur ? Elles s'y collent, alors, et puis font une série de pirouettes, pour descendre, salto arrière, collé, salto avant, collé, et ainsi de suite. La matière est ludique, sorte de caoutchouc mou, qu'on retrouve aussi dans des balles ou autres jouets bon marché.
Certaines personnes ressemblent à ces petits bonhsommes. Elles collent aux choses, adhèrent aux surfaces sourdes, aux parois aveugles, aux briques froides, aux parpaings gris et rêches. L'exercice du retournement leur est même parfois trop difficile. Elles tiennent un peu de la pieuvre, avec ventouses en guise de peau. L'obstination de leur désir les tient accrochées aux mots, aux énigmes, aux douleurs. Leur chair, leur corps, est tendre, trop tendre. A trop vouloir comprendre, se faire entendre, des fluides, elles s'écorchent ou s'abîment, l'oreille plaquée, l'oeil bouché, les lèvres aspirées.
Je voudrais glisser, glisser, en moto des neiges, sur des skis nautiques, dans une barque ou en montgolfière, entre les nuages. Glisser sur les gens, sur les choses, quitte à m'envoler, et flotter. On s'en fout.
J'ai essayé, une fois, j'avais quatre ans, ou cinq. Pleine d'eau et de savon, dans un hammam, je me suis amusée à de gloussantes glissades. Tout l'après-midi. Je ne pouvais plus m'asseoir, après... toute blessée que j'étais !
Car il faut apprendre, à glisser. On est glisseur ou on ne l'est pas.