Du mobilhome

La salle est chic, chaude, plafond peint, moulures, dorures, rouge du velours sous la main, on chuchote, il fait doux dehors, c'est une des premières soirées qui sentent vraiment le printemps, on s'assied, on attend.

Quatre hommes en noir sur la scène.Des projecteurs les éclairent, soit de façon directe, avec une lumière chaude, discrète, soit par derrière, dans un blanc doucement violent, afin de jeter leurs ombres, agrandies, chinoises, aux murs de la salle, à notre droite, à notre gauche, rapetissant les silhouettes, gigantisant les reflets, encerclant les spectateurs.

Une clarinette basse. Une guitare basse. Le luth, ou aoûd, d'Anouar Brahem, et le percussionniste qui alterne entre derbouka et bendir. Quand il ne joue pas des deux en même temps. Les musiciens forment un couple délicieux chacun avec son instrument, autant de corps-à-corps qui tressautent, câlinent, chuchotent, s'énervent, et donnent, prodiguent ce cadeau qu'on reçoit goulûment, la musique. Le rythme est végétal, un treillage invisible que l'on devine en creux sous, sur, le son de chacun, comme si les notes venaient s'y accrocher, ou comme si elles en naissaient, enfin ils s'emmêlent, vigne et bois, et la forme est serpentine, en même temps qu'elle suggère quelque chose comme une ubiquité, le rythme est là-haut, sous le pied d'un homme en noir, il est ici, à l'intérieur de la dame à la rangée devant qui dodeline de la tête, il est en moi, mon pied sautille, il est un halo, une lumière, dans le volume de la scène, dans la voûte du plafond doré, dans le temps, qu'il a investi, qu'il déforme, qu'il étire et compresse et rend si doux. Si bon. Du bon temps. On a passé du bon temps.